Pétrole, pétrole
Totalement soumis à mes habitudes aux années de servitude passées à
m’abreuver sans compter à ta source raffinée. Tout ce temps enlacé dans
la chaleur de ta combustion, croc-magnon troublé par les vapeurs
impudiques de ta charge calorifique, il me faut maintenant me passer de
ta courbe d’énergie extatique.
Finis les sens ordinaires, ce vulgaire à plomb que tu tenais d’avant
guerre
Anorexie en 98, comme le veut l’époque. Tu as, du plantureux super au
généreux 95, au pointilleux 85 jusqu’à l’osseux E10, su perdre ta folie
superbe des années folles, t’évaporé dans l’éthanol. Te voilà donc ad
hoc pour une fin de cycle.
En panique, sous le choc de l’ascèse, le sevrage de l’esclav'-âge
finira sans doute mal.
ÔÔÔ Mon or noir, mon eau de vie, ma cabale , ÔÔÔ mon graal, mon
énergie, mon ostensoir. Je me moque du pic de consommation, des claques
au fric de mes vacations, des cloques en vrac sur l’éthique du choc des
civilisations, du trac des écolos tics qui trippent au clash
climatique. Je veux sniffer tes schistes bitumeux, flamber tes
banquises pour te forer les pôles à ma guise, m’abîmer dans tes failles
saumâtre et dans tes entrailles, empaler mon pipeline.
ÔÔÔ hydrocarbure, ÔÔÔ chaînes carbonées paraffinique, naphténique et
aromatique
ÔÔÔ Exxon, Shell, BP, Total et Chevron, ÔÔÔ fioul, gazole, kérosène,
essence et GPL
Vous êtes les êtres suprêmes, uniques, matériels et transcendants aux
préceptes iniques, artificiel, funeste et foudroyant auxquels je me
soumets tout entier.
Pétrole, pétrole, cher amour, nous sommes unis à la vie et pour
toujours. Nous sommes unis à la mort et au-delà encore.
Depuis la naissance tu m'accompagnes de tes plastiques, textiles et
caoutchouc synthétiques, produits cosmétiques, détergents et autres
dérivés de tes composants organiques. Je te respire, je te bois, je te
mange. Tu es l'ange noir de mon chemin de croix, le vampire raffiné de
mes désirs fossilisés.
Compagnon de ma vie, tu seras encore là lorsque la mort siphonnera de
mon corps dans un dernier soupir carbonné mon ultime essence. Oui même
en décomposition, les chairs en putréfactions, je serais à moi seul
l'exxon valdez des pissenlits se nourrissants de mes fluides corporels,
l'Amoco Cadiz des micros-organismes, asticots et vers de terre nourris
du dégazage de mes matières premières, l'erika du terreau
nourricier nourrit de mes substrats engraissés aux produits azotés.
Pétrole, pétrole, Un jour la boucle sera bouclée car de consommateur
névrosé d'organismes décomposés, je serais à mon tour, dans quelques
millions d'années, consommé.
Marc M